Forever young

Divers, Illustration

Quoi ? 
Portraits écrits et dessinés (crayon de bois) de jeunes vietnamiens salariés d’un salon de tatouage à Hanoï. Vietnam 2016

Duc, 32 ans, maître tatoueur et directeur du salon de tatouage.

Tous les choix qu’il a fait dans sa vie ont toujours été à contre courant. D’une classe aisée, diplômé d’une école de design d’intérieur, il mène une jeunesse désavouée par ses parents entre apprentissage du tatouage et addiction aux jeux d’argent. Puis il tombe amoureux, au grand dam de son entourage, d’une femme d’une classe sociale modeste, croupière et accro elle aussi aux jeux. Deux enfants plus tard, leur addiction est derrière eux mais le tatouage reste évidemment pour Duc bien plus qu’un métier, une véritable passion. Pour que sa famille accepte enfin ses choix, il devra attendre l’ouverture en 2015 de son propre salon de tatouage, qui jouit rapidement d’une réputation élogieuse dans le tout Hanoï et lui permet d’assurer la santé financière de sa famille. Malgré l’apparente liberté qu’il semble avoir acquis, il concède qu’«Être libre, c’est accepter qu’on ne l’est jamais vraiment ». Aujourd’hui, si il le pouvait il consacrerait beaucoup plus de temps à sa famille et ferait des tatouages seulement pour le plaisir !

Tatouage important : ils le sont tous pour des raisons différentes, mais dans la plupart des compositions qui recouvrent son corps, la fleur de lotus, capable de se développer même dans un environnement hostile, est un symbole qui lui tient à coeur.

Luan, 22 ans, manager en parallèle de ses études.

Il a toujours travaillé pendant ses études pour pouvoir financer ses loisirs, ce qui l’a amené dans ce salon de tatouage. D’une nature très sociable et festive, il a beaucoup de mal à se concentrer sur sa licence de tourisme en cours. Petit, il voulait être un justicier pour défendre les plus faibles dans la cour d’école, mais sa carrure ne lui permettait pas de le faire. Il a donc choisi la voie pacifique. Fan de John Lennon et des Beattles, il rêve d’un monde paisible où chacun serait libre de ses opinions et de ses actions mais pour lui, on n’est jamais vraiment libre. Les rencontres familiales et cérémonies traditionnelles ne l’intéressent guère. S’il avait les moyens financiers, il s’évaderait en moto à la découverte du Vietnam mais aussi de l’Amérique du sud. Mais il sait que, quoi qu’il fasse, ses choix de vie devront prendre en compte certaines obligations familiales comme s’occuper de ses parents quand il seront âgés. Il compare cela au « early game » et au « late game » dans les jeux vidéos. « Au début du jeu, les parents s’occupent des enfants, vers la fin c’est l’inverse, c’est normal ! ».

Tatouage important : un qu’il a dessiné lui même, avec son nom inscrit dedans, révélateur de son envie de rompre avec les traditions bien pensantes, et aussi le premier tatouage d’une longue série.

Co, 29 ans, manager bar et apprenti tatoueur.

Il est certainement le plus conservateur de la bande. La famille chez lui, c’est sacré ! Il y a un an, quand son beau-frère ouvre le salon de tatouage, il s’engage avec lui dans l’aventure, abandonnant son métier d’ingénieur automobile. À bientôt 30 ans, il vit avec sa soeur, son beau-frère et leurs enfants. Son rêve est simple : rencontrer la femme de sa vie et gagner suffisamment d’argent pour mener une vie confortable. Être totalement libre ne l’intéresse pas car il considère que ce sont les règles et les responsabilités qui permettent l’équilibre, de la même manière qu’un tuteur aide l’arbre à pousser droit. De plus, pour lui, une liberté totale ne peut pas exister sans faire de concessions, sans perdre certaines choses importantes. Le champ de liberté acquis par les luttes des générations précédentes est pour lui déjà extraordinaire.

Tatouage important : Co est le seul de l’équipe à ne pas en avoir car, bien qu’il souhaite tatouer les autres, il n’imagine pas en avoir lui-même.

Ly, 31 ans, pierceuse.

Élevée les premières années par sa mère qui est ensuite partie vivre en République Tchèque, laissant à ses tantes la responsabilité de son éducation, elle a vite souhaité être indépendante financièrement. Patronne pendant 7 ans d’un restaurant et aujourd’hui pierceuse et co-propriétaire du salon de tatouage, elle a toujours vécu confortablement : elle dispose d’une bonne assurance santé (ce qui est très onéreux), voyage à l’étranger de temps en temps, s’achète ce qui lui fait plaisir, mais ce qui lui manque cruellement c’est du temps. Le studio étant ouvert 7 jours sur 7, et son temps libre étant consacré à s’occuper de sa famille, ce qu’elle voudrait maintenant c’est calmer le rythme, fonder sa propre famille, acheter une maison et même être mère au foyer si cela est possible financièrement. Elle fait partie d’une famille très respectueuse des traditions et est elle-même choquée de constater que les plus jeunes ne s’occupent plus de leurs familles, de leurs aînés, et ne pensent qu’à faire la fête. Elle, au contraire, cherche un schéma de vie plus traditionnel.

Tatouage important : un bracelet avec les dates de naissance de ses tantes qui l’ont élevée et qui la soutiennent encore aujourd’hui.

Hoàng Anh, 22 ans, manager pendant les vacances scolaires.

Issu d’une classe moyenne, il rêvait quand il était enfant de devenir le maître du monde (un méchant) ! Depuis, il s’est largement adouci mais ce poids léger de boxe au regard espiègle mène maintenant un autre combat : réussir à faire accepter ce qu’il est à sa famille. Ses parents attendent de lui qu’il devienne un grand économiste fortuné, capable à l’avenir de soutenir sa famille financièrement. Actuellement en licence d’économie, il va tenter de partir faire un master aux États-Unis. Ainsi, une fois son diplôme en poche, il espère pouvoir travailler pour mettre de l’argent de côté et faire ce dont il rêve depuis des années : voyager dans le monde entier et faire de la photo. Pour lui la liberté serait de pouvoir être lui-même, d’explorer, d’apprendre, d’aimer sans sentir la très forte pression familiale sur ses épaules.

Tatouage important : la phrase « Combats tes démons » en français (tatoué par Raphaël) pour se rappeler la lutte à mener contre ce qui cause du tourment.

My, 21 ans, manager en parallèle de ses études.

Elle a tout pour être brillante : une famille aisée qui lui donne accès aux meilleures écoles (elle a étudié 1 an dans une université au Portugal), des facilités linguistiques et la possibilité de se concentrer sur ses études sans se préoccuper des finances. Pourtant derrière son joli minois d’élève modèle, elle n’est pas où on l’attend. Petite, elle voulait être « médecin de la tête pour écouter et aider les esprits emmêlés ». Aujourd’hui, son propre esprit est tourmenté. Inspirée par des univers mélancoliques comme ceux de Murakami, de Kafka ou du cinéma d’auteur japonais, elle évolue en solitaire, souvent incomprise par son entourage. Ses parents, pourtant ouverts d’esprit peinent à accepter ses choix qu’ils considèrent comme marginaux : son travail dans un salon de tatouage ou son envie de fuir la ville pour enseigner dans un village de campagne en vivant plus modestement.

Tatouage important : la citation « beautiful things don’t need attention » (De l’écrivain James Thurber, repris dans le film « la vie rêvée de Walter Mitty ») qui illustre sa confiance en elle et en ses projets malgré le manque de soutien de ses proches.

Hoàng, 20 ans, apprenti tatoueur.

Au Vietnam, médecin ou policier sont des métiers qu’exercent seulement les personnes d’un haut rang social. Ses parents en faisant partie, c’est ce genre d’avenir qu’ils espéraient pour lui. Pour ce faire, ils l’ont poussé à aller à l’université et l’ont envoyé en Australie pour qu’il apprenne l’anglais. Mais Hoàng en a décidé autrement : après avoir abandonné ses études en Australie, il a trouvé une place d’apprenti tatoueur dans ce salon. Son rêve pour l’avenir : devenir très bon et travailler pour un studio connu internationalement. S’il y arrive, il ne restera plus qu’à expliquer à ses proches qu’être un grand artiste tatoueur est tout aussi respectable qu’être un grand chirurgien !

Tatouage important : la phrase « family is all I need » car ce que pense ses proches compte beaucoup pour lui, même si il fait ses propres choix.

Tuân Anh, 21 ans, cuisinier et barman.

Issu d’un milieu très défavorisé et d’une famille à problèmes, il a eu par le passé des moments très difficiles. Il dit « s’être sorti de la merde » grâce à la cuisine, passion qui lui a été transmise par sa mère, son héroïne qui était également cuisinière. Grâce à ses talents de chef et aux nombreuses expériences dans la restauration (il travaille depuis l’âge de 15 ans), il gagne maintenant correctement sa vie et parle bien anglais. Bien qu’il travaille tous les jours et n’ait pas de temps libre pour voir sa copine ou ses amis, il se sent totalement libre dans son esprit puisqu’il aime ce qu’il fait au moment présent. Pour lui, ce que l’on mange affecte non seulement notre santé mais aussi nos émotions. C’est pourquoi s’il a un jour les moyens, il ouvrira un petit restaurant avec une petite ferme à côté pour pouvoir proposer des produits sains, sans produits chimiques, ce qui d’après lui, est difficile à trouver au Vietnam. Si sa cuisine fait sourire les gens, alors il est heureux !

Tatouage important : le logo de son groupe de danse Hip Hop, avec ses meilleurs amis. Comme il a toujours beaucoup travaillé, il a peu d’amis mais ils lui sont chers.

An, 25 ans, barman.

Il rêvait d’être footballeur mais est devenu capitaine de sa propre vie car à tout juste 25 ans, il doit trouver la bonne tactique pour jongler entre ses responsabilités de salarié, de mari et de père. Le travail au bar étant très prenant, il est obligé de dormir sur place et voit rarement sa femme et sa fille d’à peine deux ans. Sa femme qui tient une petite cantine de rue étant de nouveau enceinte, il a dû laisser de côté le travail au salon de tatouage pour la remplacer, afin qu’elle ne perde pas sa clientèle. Dès qu’elle aura accouchée et sera capable de retourner travailler, il reprendra son travail de barman pour assurer au mieux l’avenir de ses deux enfants. Il a peu d’avis sur la situation sociale, politique et économique de son pays, car il n’a de toute façon pas vraiment le temps d’y penser. Il va droit au but !

Tatouage important : celui qu’il a prévu de se faire bientôt en rapport avec sa fille (un cheval pour l’année du zodiaque et une horloge indiquant l’heure de sa naissance).

Tun, 21 ans, apprenti tatoueur et directeur d’un magasin de vêtements.

À seulement 19 ans, il abandonne l’école et se lance dans la mode en créant une marque de vêtements avec sa compagne actuelle. Il est le parfait exemple d’une jeunesse totalement libérée et assumée. Née fille, Tun est aujourd’hui une personne transgenre et a la chance que son entourage accepte ce qu’il est et le soutienne dans tous ses choix. Ses parents, habitués à voyager et à travailler à l’étranger sont très ouverts d’esprit et leur situation financière permet à Tun de réaliser tout ce à quoi il aspire. En parallèle de la gestion de sa marque de vêtements, il a commencé la formation pour devenir tatoueur.

Très cultivé et curieux, il s’entend davantage avec les personnes plus âgées, comme le patron du salon de tatouage, Duc, de 11 ans son aîné. Rien ne s’impose entre lui et la réalisation de ses rêves. Il se sent totalement libre !

Tatouage important : le papillon que lui a tatoué Duc comme cadeau d’anniversaire de ses 18 ans.

Tung, 22 ans, tatoueur.

Au premier abord, son corps massif et recouvert de tatouages des pieds à la tête ne donne pas envie de lui chercher des noises. Et pourtant sa sensibilité et sa générosité sont uniques. Sans cesse dans la remise en question de lui-même, il peine à prendre conscience de ses points forts. Les violences et l’incivilité ordinaire le touche mais il a bien vite abandonné son rêve de tireur d’élite, fantasmé par les films d’action, pour un métier où on fait plaisir aux gens et où la plupart du temps, ils vous le rendent bien. Certes il s’agit quand même d’enfoncer des aiguilles dans la peau mais à la différence d’un tireur d’élite, les victimes sont consentantes et viennent de leur propre gré ! Bien qu’il ne parle pas anglais, il fait l’unanimité parmi les touristes qui rapportent tous sa douceur et sa gentillesse. S’il arrive à prendre confiance en lui et à devenir un aussi bon tatoueur que son patron, il aimerait monter son propre salon de tatouage vers la baie d’Halong, d’où il est originaire.

Tatouage important : un soleil avec le mot « mère » écrit en Chinois qui marque l’attachement à la sienne.

 

Chloé Trémorin / DA Graphiste freelance / Nantes